dimanche 17 mai 2009

Les blogueurs de Baghdad


Depuis le début du conflit, de nombreux blogs de citoyens irakiens ont fleuri sur la toile. Parmi eux, « Baghdad Burning » et « Where is Raed ? » ont eu un écho considérable dans les médias occidentaux. Leurs auteurs, de jeunes anonymes, sont devenus de véritables « icônes » de l’internet 2.0, les symboles des souffrances des populations civiles et du droit à l’information en temps de guerre.

Salam Pax

« Where is Raed » est un blog écrit en anglais, créé en 2002 sous la dictature de Saddam Hussein par « Salam Pax », un jeune architecte de 29 ans vivant dans la banlieue de Baghdad. Epris de liberté, ouvertement gay et laïc, le jeune homme, choisit pour son nom de blogueur d’accoler les mots « paix » en arabe et en latin.
Très critique à l’égard du régime de Saddam, le blogueur ne ménage pas non plus les troupes américaines et britanniques. Durant le conflit, il décide de témoigner de ce qu’il vit, partageant commentaires, impressions et liens vers des sites d’information.
Très rapidement, Salam Pax devient le premier « blogueur-star » de la guerre: ses fans vont même jusqu’à faire imprimer des t-shirts et des tasses à son nom. Alors qu’il travaille comme traducteur pour un journaliste américain, l’identité de celui que l’on connaît comme « le blogueur de Baghdad » ou encore « l’Anne Franck de la guerre d’Irak » est révélée en 2003 par le Guardian. La même année, le quotidien britannique publie un recueil de ses textes intitulé « The Baghdad Blog » et ouvre ses colonnes au jeune homme qui collabore au journal comme chroniqueur jusqu’en 2005.

Riverbend

Le blog « Baghdad Burning » a été lancé en mai 2003, quelques semaines après le début de l’intervention américaine, par une jeune Baghdadi à l’identité mystérieuse. « Riverbend », c’est son nom de plume, se contente de se présenter en quelques phrases elliptiques : « Je suis une jeune femme, je suis irakienne et j’ai 24 ans. J’ai survécu à la guerre. C’est tout ce que vous avez besoin de savoir. C’est tout ce qui compte aujourd’hui, de toute façon.
La jeune femme, dans un anglais parfait(on apprendra par la suite qu’elle a vécu dans un pays anglophone), décrit son quotidien, celui de sa famille, de son quartier, dans Baghdad assiégée. Avec lucidité, humour parfois, elle commente l’actualité, fait part de ses peurs, de ses colères contre l’occupation américaine et les attentats kamikaze. Elle explique sa démarche par la frustration qu’elle éprouve face aux médias occidentaux qui n’offrent selon elle « qu’une vision partielle de ce qui se passe en Irak ». Encouragée à ses débuts par son confrère Salam Pax, elle ajoute que le fait de tenir un blog durant ces mois de guerre a également eu des vertus thérapeutiques, lui permettant de verbaliser ses souffrances et de se sentir plus forte.
Dès sa création, le site reçoit de nombreux messages de soutien et est très vite relayé par la presse traditionnelle britannique et américaine. Mais Riverbend déplore certains messages qui mettent en doute l’authenticité de son témoignage : « Ce blog m’a permis de mesurer à quel point les citoyens occidentaux sont mal informés sur mon pays. On m’écrit « vous mentez, vous n’êtes pas irakienne. » Et pourquoi ? Parce que j’ai accès à internet (les Irakiens n’ont pas Internet), je sais comment l’utiliser (les Irakiens ne savent même pas ce qu’est un ordinateur) et les irakiens ne savent pas parler anglais… Maintenant, quand je vois les troupes dans les rues, je me dis : « Alors, c’est ce qu’ils pensent de nous. »
Un recueil d'articles de son blog a été publié en 2005 sous le titre « Girl Blog from Iraq » aux presses universitaires de la City University de New York. « Baghdad Burning » a également inspiré plusieurs pièces de théâtre aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. La jeune femme et sa famille ont quitté Baghdad en 2007 pour s’installer en Syrie.

Ces « warblogs » ont permis aux citoyens occidentaux d’avoir une vision plus concrète de la réalité irakienne. Le fait que leurs auteurs maîtrisent parfaitement la langue et la culture anglo-saxonne crée un sentiment de proximité, d’empathie, à mille lieues des images satellites désincarnées de bombardements diffusées sur les grandes chaînes de télévision. L’intérêt éditorial des « war blogs » réside bien dans leur dimension testimoniale subjective et émotionnelle, initiant de nouveaux procédés de légitimation de l’information. Le fait que ces blogueurs parlent du « cœur de l’évènement », qu’ils expriment en tant que victime leur expérience personnelle de la guerre au quotidien,consacre leur parole comme « vraie » . Les processus de validation à l’œuvre ici ne sont donc pas les mêmes que ceux utilisés jusqu’à présents par les journalistes. Plus le blog est personnel et détaillé, jusque dans une quotidienneté très banale, plus il aura tendance à être validé par l’internaute en tant que source d’information fiable par opposition à des médias traditionnels jugés peu objectifs et connaissant mal les réalités irakiennes. Si l’on peut questionner le "storytelling", la dimension de "mise en scène" induite par ces procédés de légitimation, on peut toutefois considérer que cette idée de « posture » est présente dans tout processus de validation de la « vérité », y compris ceux privilégiés par le journalisme classique.
L’histoire des blogueurs de Baghdad est exemplaire des rapports entre anciens et nouveaux médias : inquiets de se voir dépassés et remis en question, les journalistes ont très rapidement compris l’intérêt de tenir eux aussi des « warblogs », racontant à la première personne leur expérience sur le terrain. Ils ont également su récupérer ces anonymes irakiens en les intégrant à un système médiatique plus classique (« starification », publication de livres tirés des blogs, produits culturels dérivés, chroniques dans des quotidiens), contribuant à brouiller la frontière entre amateurisme et professionnalisme sur la toile.

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