dimanche 17 mai 2009

La guerre au temps de l'internet


La méfiance envers les médias traditionnels et l’intérêts pour l’information « alternative » proposée par les blogs s’est développée surtout à partir du 11 septembre 2001. Mais c’est à partir de 2003, avec la guerre d’Irak, que la blogosphère s’est véritablement imposée comme un média d’information incontournable, remettant en question les pratiques des journalistes professionnels. Cette guerre s’est déroulée dans un paysage médiatique nouveau : l’opinion publique a eu accès, grâce à l’internet en général et aux blogs en particulier, à une quantité et une diversité d’information bien supérieure à celle disponible lors des précédentes conflits.

Entre janvier 2004 et janvier 2006, le nombre de blogs dans le monde passe de 1,6 à 26,6 millions. Si le début des années 2000 a vu l’émergence de nouvelles technologies permettant de diffuser très simplement des informations en ligne, l’importance qu’ont pris les blogs durant la guerre d’Irak est due également au sentiment partagé par de nombreux citoyens que les médias traditionnels ne font pas leur travail, ont tendance à s’aligner sur les positions du gouvernement et pratiquent l’autocensure, minimisant notamment le nombre de morts et présentant la perception de l’intervention par les Irakiens sous un jour étonnement favorable. Certains médias comme la chaîne Fox News, propriété du magnat des médias ouvertement conservateur, Rupert Murdoch, ont été accusés de diffuser la propagande belliqueuse de l’administration Bush. L’hostilité à la guerre d’une grande partie de l’opinion publique a contribué à favoriser l’émergence de médias alternatifs proposant un regard critique sur le conflit. Selon une études citée par Junho H. Choi, James H. Watt et Michael Lynch, dans leur article “Perceptions of News Credibility about the War in Iraq: Why War Opponents Perceived the Internet as the Most Credible Medium “, les Américains opposés à la guerre d’Irak disent très majoritairement qu’ils ne font pas confiance aux medias traditionnels et leur préfèrent l’Internet.


Dans le contexte polémique autour de la politique américaine de « war on terror » de l’après 11 septembre, les blogs de simples citoyens traitant, le plus souvent de façon critique, de la guerre d’Irak se multiplient en fur et à mesure de l’enlisement du conflit : des blogs militants, opposés au gouvernement de George W. Bush, bien sûr, et dévoilant notamment l’absence de preuves sur les armes de destruction massive, auxquels s’ajoutent rapidement de nombreux blogs tenus par des GI’s, montrant la terrible réalité du front, ainsi que ceux de familles de soldats, dont les fameuses « GI moms » qui dénoncent la « sale guerre » pour laquelle leurs fils sont sacrifiés.
Un nouveau type de journalisme de guerre émerge également, qui rencontre un échos considérable : ce sont les journaux en ligne tenus par des Irakiens eux-mêmes, le plus souvent en anglais, qui, en décrivant leur quotidien, offrent aux regards du monde, depuis la prison qu’est Baghdad assiégée, la « réalité » de la guerre, par opposition aux « mensonges » attribués aux institutions aux médias. Ces blogs testimoniaux dont les plus célèbres sont « Baghdad Burning » et « Where is Raed ? », tirent leur légitimité de leur nature subjective et quotidienne, offrant une vision plus « concrète » et humaine du conflit qui attire la sympathie et émeut de nombreux internautes.

Contrairement à ce qui s’était passé durant la guerre du Vietnam, les journalistes ont eux beaucoup de difficulté à enquêter librement sur le terrain pendant ce conflit. La pratique du journalisme « embedded »,c’est-à-dire embarqués avec les soldats, se systématise, donnant l’illusion d’un reportage « brut », « au cœur de l’événement ». Mais les journalistes embarqués n’ont, de loin, pas accès à toute l’information, l’armée veillant à filtrer très strictement les nouvelles diffusées, et certains d’entre eux vont parfois jusqu’à mettre en scène cette information, comme lors du sauvetage du soldat Jessica Lynch, célèbre manipulation largement relayée par les chaînes de télévision puis démasquée par des reporters de la BBC.

Décrédibilisée, la profession, face aux critiques de la blogosphère, hésite entre enthousiasme et méfiance. Dépossédés de leurs privilèges, les médias traditionnels manifestent très rapidement leur volonté de ne pas passer à côté du phénomène. Dès 2003, le magazine Forbes publie une listes des meilleurs « warblogs », dans une volonté de s’associer au succès de ce nouveau média mais également de proposer un regard critique et une forme de hiérarchisation afin d’aider le lecteur à se repérer dans la jungle de la blogosphère. Les articles sur les blogs se multiplient, tantôt admiratifs, tantôt critiques contre les risques d’une information anonyme et non-professionnelle, mais jamais indifférents face à ce qu’on n’hésite pas à qualifier de « cinquième pouvoir ». Rapidement, les journalistes professionnels vont eux aussi se lancer dans le blogging, tandis que certains amateurs deviennent de véritables « stars » sur la toile, sont abondamment cités par les médias traditionnels et publient même parfois des compilations de leurs chroniques chez de grands éditeurs, estompant ainsi la frontière entre amateurisme et professionnalisme dans la blogosphère.






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